Trump II : Open Bar pour Musk et les neo-convertis de la tech
Jamais un chef d’entreprises aussi puissant ne s’est trouvé dans le premier cercle d’un président américain. Les conséquences vont être spectaculaires. Et elles devraient ravir les nombreux convertis.
• • • La version bullet points
• Musk a littéralement acheté sa place auprès de Donald Trump. Il rêve d’appliquer au gouvernement son exceptionnel sens de l’exécution. Good luck with that.
• Les “cryptos bros” sont ravis, Trump est “leur” président. Il veut même en faire une monnaie de réserve.
• Les règlements de comptes risquent d’être d’une rare brutalité. Il suffit de lire les Xeets de Marc Andreessen pour s’en rendre compte.
• Les possibles gagnants et perdants parmi les géants de la tech sous une présidence Trump-Musk.
• • • La version Longue
Elon Musk n’a ni scrupules, ni la moindre inhibition. Conflit d’intérêt ? Ce n’est même pas dans son vocabulaire. Seul le résultat importe. Le New York Times raconte qu’avant même la réélection de Donald Trump, il lui avait demandé de transférer des cadres de SpaceX à des postes-clés dans des secteurs liés à son activité : espace, défense, transport. C’est que le rêve martien coûte cher (plusieurs centaines de milliards de dollars) et il doit donc impérativement mettre à profit les quatre ans du mandat de pour sécuriser ses flux avec une augmentation des contrats gouvernementaux (15 milliards depuis la création de SpaceX). Donc au travail.
Le patron de Tesla, SpaceX, Neuralink, X, xAI, The Boring Company ne devrait logiquement pas faire partie des nominations politiques de Donald Trump, encore moins du cabinet (équivalent des ministres). Trop compliqué sur un plan légal, délicat à gérer avec le Congrès et la Chambre, même si celles-ci sont désormais contrôlées par les républicains — et que Trump s’apprête à court-circuiter la procédure des nominations. Il n’est même pas certain que le Department of Government Efficiency (DOGE), soit une branche à part entière de l’exécutif ; à ce stade, il semble plus simple de faire d’Elon Musk un super-conseiller — ce qui n’est pas dans son tempérament de hands-on compulsif. Mais il faut aussi intégrer l’hypothèse que la lune de miel entre les deux ne soit pas éternelle. Donc chacun prendra ses précautions.
Le court terme s’annonce en tout cas bien. Les 200 millions de dollars que Musk a mis dans la campagne de Donald Trump (bien plus si on valorise l’exposition offerte sur X) ont déjà payé : dans les quatre jours qui ont suivi l’élection, la valorisation de Tesla s’est appréciée de 32%, ce qui s’est traduit par un gain de presque 50 milliards dans la part détenue par Musk. On ne sait pas exactement quel montant de ses actifs est investi en crypto, mais le rallye de ces derniers jours sent la fête : + 30% sur le Bitcoin et +117% sur le DogeCoin dont Musk est le plus puissant market mover. Entre cela et la trésorerie de Tesla placée en crypto, son PDG peut se targuer d’un ROI exceptionnel. Idem pour les “Crypto Bros” qui ont aussi misé environ 200 millions de dollars sur Donald Trump. Au moment où je boucle ce post, le Bitcoin franchit la barre des 88 000 dollars, un gain de plus de 40% en un mois, et de +276% pour le Dogecoin dont Elon Musk tient la télécommande.
Les investisseurs de la crypto comptent sur une dérégulation massive avec le départ de Gary Gensler, président de la Securities and Exchange Commission, vu comme un empêcheur de spéculer en rond (voir post de la semaine dernière) avec une centaine d’actions en justice contre des fonds ou des places de marché de crypto. Trump a promis de le sortir au premier jour de sa présidence.
Mieux, Trump a évoqué l’idée de créer un fonds de réserve national libellé en bitcoins, une idée épatante lorsqu’on regarde cette courbe qui illustre la rassurante stabilité du bitcoin :
Le reste de la tech se sent pousser des ailes avec les perspectives trumpistes. Jeff Bezos s’est lui aussi placé. Symboliquement d’abord en interdisant à la direction du Washington Post (qu’il détient personnellement depuis 2013) de soutenir formellement Kamala Harris, une pratique antédiluvienne et ridicule pour un média historiquement affilié aux démocrates (je reviendrai prochainement sur l’aveuglement des médias dans cette élection). Le fondateur d’Amazon a félicité le président-élu en termes chaleureux :
Contrairement au créateur d’OpenAI, Sam Altman, plus laconique :
Ouvertement démocrate, Altman risque d’être le grand perdant de ce basculement. Surtout quand on lit les Xeets (nouvelle AOC des tweets) de Marc Andreessen, cofondateur de la firme de capital-risque a16z qui augurent d’un solide règlement de comptes. Prenez le temps de lire pour saisir l’ambiance :
… Andreessen menace de rétorsions judiciaires les entreprises qui ont boycotté X lorsque Elon Musk a levé les dispositifs de modération. Pour lui, il s’agit d’une “conspiration” (dénomination à caractère criminel dans le droit américain) qui mérite des poursuites. A le lire, on a le sentiment de l’imminence d’un grand soir, avec cette conclusion prometteuse “sunlight is coming”. Dans ce genre d'éruption, la motivation financière n’est jamais très loin : a16z a mis 400 millions de dollars dans le rachat de Twitter par Elon Musk, un investissement dont la valeur était pratiquement tombée à zéro… avant l’élection.
Un myriade de situations vont être impactées par les choix politiques de la nouvelle administration. Rapide panorama :
• Le procès Google pour infraction aux lois antitrust sur le search et la publicité en ligne est lié au sort de Lina Khan, la présidente de la Commission fédérale du commerce. Elle a essuyé autant de critiques de la part des technoïdes démocrates que des républicains. En bonne logique, les lobbies devraient obtenir son départ, ce qui signifie la fin des poursuites ; Apple sera ravi si c’est le cas, car cela signifie la préservation de l’arrangement qui lui confère un versement annuel de 20 milliards de dollars (de la marge pure !) pour la position de moteur de recherche par défaut dans Safari sur le web et le mobile. (Au passage, cela signifie que Google recoupe ce loyer avec plus de 20 dollars de revenu par an et par utilisateur d’un iPhone sous la forme de publicité). En revanche, Apple pourrait souffrir des droits de douanes que Trump entend imposer à la Chine qui fabrique 95% de sa production.
• Transports du futur. Certains analystes s’attendent à une levée des restrictions sur l’aviation supersonique, les drones-taxi dans les villes (les VTOL), ou l’aviation commerciale électrique. De nombreux projets, richement financés, attendent une libéralisation du ciel ; l’administration fédérale de l’aviation (FAA), fait partie des cibles d’Elon Musk.
• Intelligence artificielle. (1) Levée probable des restrictions sur la taille et les performances de grands modèles de langages. Parallèlement, la Big Tech devrait obtenir la possibilité de déployer sur une vaste échelle des micro-réacteurs nucléaires (Small Modular Reactors, ou SMR) pour faire tourner les data centers géants. Il est même possible que l’implantation de ces centres en dehors des Etats-Unis se fasse sous la forme de “packages” data center + SMR, ce qui créera un gap important entre les pays qui sauteront sur l’occasion et les vertueux environnement-conscients.
⇒ L’Europe risque d’y perdre beaucoup : accroissement de l’écart déjà béant sur la puissance de calcul et les performances des modèles, donc de la capacité à mettre au point de nouveaux matériaux ou de nouvelles molécules pour la médecine, l’agriculture, etc. (Un grand merci à Thierry Breton et Margrethe Vestager, grands responsables du décrochage technologique européen).
• New Space. Il faut s’attendre à une lutte au couteau entre SpaceX et Blue Origin, l’entreprise spatiale de Jeff Bezos. Celle-ci est évidemment loin derrière SpaceX, mais personne aux Etats-Unis, ni les militaires, ni les civils, n’ont envie d’un monopole dans un domaine aussi stratégique. Le secteur devrait être stimulé par un plan d’équipement national des vastes zones blanches du pays. Plus généralement, toute la Defense Tech bénéficiera des nouvelles orientations du budget des armées (1000 milliards de dollars par an). Au passage, SpaceX ou Blue Origin pourraient se positionner pour reprendre certaines actifs spatiaux que Boeing, à la recherche de cash et techniquement à la rue avec son Starliner, pourrait céder.
• Tik Tok vs. Meta. Pour l’équipe Trump avide de représailles, Meta est depuis des années le grand satan du gauchisme. Si Facebook l’a fait gagner en 2016, il considère que le biais progressiste — lui appelle cela de la “censure” — l’a fait perdre en 2020. Cette fois, Mark Zuckerberg a fait profil bas et depuis un an, il a largement réduit la part de l’actualité dans le newsfeed de Facebook et d’Instagram (comme pour Google, les équipes en charge des médias ont été réduites). Mais Trump veut lui faire payer son échec de 2020. Donc, lui qui avait l’intention de bannir TikTok lors de son premier mandat, pourrait maintenir en place le réseau social chinois, si cela peut affaiblir Zuckerberg. Il a aussi une petite dette envers TikTok qui a fourni un solide afflux de jeunes électeurs. Enfin, le gros changement pourrait être la révocation de la Section 230 de la loi sur la communication qui exonère les réseaux sociaux de toute responsabilité sur ce qu’ils véhiculent (j’y reviendrai).
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J’ai conscience que même en 10 000 signes, je ne fais qu’effleurer le sujet de l’énorme impact que le nouvel exécutif américain aura sur la tech américaine — et européenne, laquelle n’est pas du tout préparée à une telle offensive.
Dans un prochain post, je reviendrai sur l’attitude des médias américains et français. Exactement comme en 2016, leur nombrilisme les a coupés de la réalité de l’Amérique. Sauf qu’aujourd’hui, les chiffres montrent qu’ils sont hors-jeu.
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L’histoire secrète de Kyutai, le laboratoire d’I.A.
de Xavier Niel est dans la Revue XXI
Dans le n° 67 de la Revue XXI, je publie une longue enquête sur le premier laboratoire français indépendant de recherche sur l’intelligence artificielle. Basé à Paris, Kyutai a bénéficié d’un financement de 300 millions d’euros répartis entre son initiateur Xavier Niel, le PDG de CMA-CGM Rodolphe Saadé et Eric Schmidt, ancien CEO de Google. Je raconte comment ces trois entrepreneurs richissimes se sont rapprochés pour développer une fondation aux objectifs ambitieux, comment l’équipe a été constituée, ses premières avancées…
C’est à lire dans la Revue XXI qui propose 180 pages d’enquêtes et de reportages magnifiquement illustrés. En vente dans les bonnes librairies. Et accessible sur le site revue21.fr.
Merci pour votre temps.
there’s other things about andreessen and a16z that are possibly even sketchier than his weird threat to criminally prosecute people who don’t want to advertise on X.
https://cryptadamus.substack.com/p/of-tech-bros-and-trumpers
Excellent tableau de la situation. Excellente analyse !