Tendances & prédictions pour 2022
Web3, crypto, metavers, disruption, régulation, médias, new space… Voici quelques tendances et espoirs pour l’année qui vient. Seule certitude : on ne va pas s'ennuyer.
Web3 : Décentralisation & désintermédiation
L’émergence du Web3 — extension de la crypto et de la blockchain — devraient bénéficier aux auteurs et créateurs. Pour l’instant, comme pour d'autres concepts, il faut faire le tri entre l’anecdotique et le substantiel. Exemple, les NFTs (pour Non Fungible Token, définition ici) dont la traduction médiatique a essentiellement porté sur les transactions à des prix absurdement élevés pour de l’art dématérialisé. Le cas le plus éloquent est la déclinaison des “Bored Apes”⬆︎ dont certaines versions ont atteint 3 millions de dollars (793 ethereum) l’unité pour un tirage “limité” ) de 10 000 exemplaires.
Comme pour le reste de l’art moderne, on ne va pas juger l'esthétique — à chacun son mauvais goût — mais ont peut quand même s’interroger sur la valeur d’une oeuvre dont le “sous-jacent”, comme disent les économistes, n’existe que sous forme de 1 et 0, mais dont l’authenticité est garantie par la blockchain.
Bien plus intéressant est la traçabilité offerte par les NFTs, la possibilité de retrouver l’ayant-droit de n’importe quelle œuvre numérisée. Cela devrait se traduire par une énorme vague de désintermédiation dans le domaine culturel en faveur des créateurs. Les compositeurs et producteurs de musique disposeront d’une alternative ou d’un complément aux plateformes de streaming dont les rémunérations sont infinitésimales comme sur Spotify où il faut 300 000 écoutes pour gagner 1000 euros. Une nouvelle économie de la production culturelle pourrait naître de ce système. Mais cela suppose une consolidation et une simplification dans le secteur de la crypto aujourd’hui terriblement fragmenté avec plus de 500 plateformes d’échange de cryptomonnaies.
Instagram sera aussi une des applications probables des NFTs, où les photographes ne seront plus contraints d’abandonner leur travail à l’abîme du domaine, de facto, public.
Metavers le néant
Franchement, qui a envie de tenir une réunion virtuelle avec des avatars pareils ? Même si votre collègue a une tête d’oreiller pour le premier meeting de l’année, on préfère qu’il coupe sa caméra plutôt que de le voir mué en Playmobil tonqué.⬇︎
Pour l’instant, les promesses du metavers sont affligeantes. Elles sont pour la plupart issues des équipes de Facebook dont les codes visuels sont restés figés en 2003, à l’époque de Second Life (première itération du concept d’univers virtuel, un vaste échec).
Il faut admettre que Mark Zuckerberg a un goût de chiotte. Facebook ne s’est jamais vraiment départi de son look de clinique finlandaise et lors de la présentation de “Meta”, la nouvelle identité de Facebook, Zuckerberg a choisi de trôner devant cet univers immonde⬇︎, avec une cheminée en lévitation, ouvrant sur un lagon tahitien (pas très Greta comme concept) —bref.
Plus sérieusement, deux éléments sont à prendre en compte dans cette idée de metavers : la motivation de Facebook — rebaptisé Meta Platforms Inc. — qui est de détourner l’attention du public de sa putréfaction interne chroniquée tout au long de 2021 dans les médias, et le fait, que Facebook, en tant que service a besoin d’un solide relais de croissance. Ce sera donc le metavers, à prendre avec de la Nautamine®.
Mais ce serait une erreur de réduire le concept de metavers à la promesse de Mark Zuckerberg. L’une des raisons est l’importance des investissements qui se déversent sur ce secteur : au moins 10 milliards de dollars dénombrés fin 2021 (essentiellement dans le gaming). Ces sommes vont donner un coup de fouet à la réalité virtuelle et à la réalité augmentée qui en ont bien besoin (ni l’une ni l’autre n’ayant jamais décollé). Déjà, de grands industriels américains travaillent sur la conversion de leur documentation technique pour que celle-ci soit accessible avec des lunettes ad hoc. Il existe donc bien un marché pour ce secteur qui pourrait être stimulé par des lunettes d’Apple dont le lancement — évoqué pour cette année — se traduira immanquablement par la création d’un écosystème d’applications, comme avant lui pour l’AppleWatch et l’iPhone.
Candidat à la disruption : le cinéma
Les technologies associées au metavers vont en tout cas changer profondément le secteur de la création audiovisuelle.
Trois éléments sont à considérer : un, la demande pour les productions ne cesse d’augmenter ; une plateforme comme Netflix produira en 2022 plus de contenus originaux que l’ensemble des chaînes de télévision européennes.
Deux, cette production va subir des contraintes budgétaires sévères : elle est largement financée par de la dette dont l’accès risque de pâtir d’un retour probable de l’inflation.
Trois, la persistance du Covid va limiter la taille des équipes de production qui peuvent compter des centaines de personnes pour certaines scènes de Dune ou de Succession.
Ces contraintes vont donc stimuler toutes les technologies qui favorisent la virtualisation des environnements, un domaine qui avance rapidement sous l’effet combiné des progrès des algorithmes et du hardware qui les supporte.
Pour se faire une petite idée, on peut regarder ce segment, Memories of Australia réalisé par le directeur artistique suédois Andrew Svanberg Hamilton, uniquement en images de synthèse. Le logiciel utilisé, Unreal Engine, est gratuit et fonctionne sur un gros PC. Le réalisme des paysages est sidérant. Un autre client important de cette évolution sera la publicité.
La suite logique sera pour plus tard, avec la virtualisation des acteurs. Pour le moment, ceux-ci ont l’allure de stars botoxées, mais là encore, les progrès sont spectaculaires comme le montrent ces tests d’images de synthèse. ⬇︎
2022, année enfin régulée (?)
La toxicité de Facebook révélée en 2021, le fait que les seuls revenus publicitaires d’Amazon surpassent maintenant ceux de la presse ou que le géant du commerce en ligne soit devenu un des plus grands logisticiens au monde, ou encore l’opacité persistante du modèle publicitaire de Google, tout cela va mettre sous pression les régulateurs.
Bottom line : rien ne bougera tant que l’Europe et les Etats-Unis ne se seront pas accordés sur une stratégie assortie d’objectifs précis. Pour l’instant, on en est loin. Bruxelles ne voit guère au-delà de la prochaine amende qui sera infligée aux Gafams, sous les applaudissements de leur détracteurs ravis, tandis que Washington procrastine en cherchant la ligne de crête entre desserrer l’étau exercé par la Big Tech sans pour autant tuer la dynamique de l’innovation.
De toute façon, la domination des géants de la technologie est installée pour longtemps car l’essentiel de leurs relais de croissance passe par une capillarité toujours plus grande dans tous les aspects de la vie quotidienne : à court terme, ils vont investir la santé et l’éducation, plus tard, ce sera l’énergie, les transports et l’alimentation.
La presse va continuer de s’enfoncer
Si les acteurs dominants sur leur marché comme les grands médias historiques vont s’en sortir, une série de facteurs négatifs sont à l’oeuvre :
L’assèchement publicitaire consécutif aux performances de Google et Facebook va achever ce qui reste de presse locale, créant des déserts médiatiques dans nombre de pays.
La persistance de la faiblesse de l’investissement technologique dans la plupart des groupes de presse fera que la tech conservera toujours une longueur d’avance.
L’enseignement du journalisme continuera à préparer une génération de serfs numériques paupérisés au lieu de tirer les compétences et les aspirations vers le haut en stimulant la créativité et en intégrant un savoir-faire entrepreneurial.
La montée en puissance du “journalisme corporate” va se matérialiser par des acteurs industriels et financiers qui créeront leur propres médias, court-circuitant les producteurs classiques d’information ; ces producteurs seront bientôt les seuls à rétribuer la compétence et l’expérience.
Les seules lumières seront :
La poursuite du développement d’un vaste écosystème créatif à base de newsletters, podcasts ou publications de niche — qui s’appuiera en partie sur le Web3.
La possible création, enfin formalisée, de fonds de financements initiés par les Gafams, qui auront décidé de prendre leur part dans les dommages infligés par le numérique au secteur de l’information. Cela ne se fera pas sans douleur car il faudra réconcilier ce que les médias considèrent comme un dû et la part que la big Tech acceptera de payer. Le résultat sera de toute façon le même : un système dans lequel ce qui restera de la presse traditionnelle sera en partie subventionné par le secteur de la tech grâce à des mécanismes plus ou moins tordus.
Cloud Européen : machine à subventionner
Les dépenses de cloud vont atteindre 10-12% des dépenses d'investissement cette année 2022, contre 4% il y a encore cinq ans. En 2021, les Gafams ont dépensé collectivement 140 milliards de dollars dans leurs infrastructures. Les rattraper sera difficile, d’autant que l’Europe est partie pour un de ces grands “machins” dont elle a la secret. Celui-ci s’appelle GaiaX. Son objectif principal étant la souveraineté européenne en matière de stockage de données, il est d’ores et déjà englué dans le magma politique.
GaiaX sera avant tout un formidable gisement de subventions — alors que les acteurs du cloud européen, dont beaucoup sont excellents, auraient besoin de contrats, un nuance sémantique qui semble hors de portée des décideurs publics européens, UE et états-membres.
2022, année exceptionnelle pour l’espace
Ce sujet fera l’objet d’une prochaine chronique d’episodiqu.es, mais rapidement, trois tests majeurs sont prévus en 2022 :
Starship, la fusée géante de SpaceX qui, si elle tient ses promesses, peut bouleverser le secteur (voir un épisode précédent). Elle tentera un premier vol en janvier.
La première itération du Space Launch System de la Nasa avec la fusée Artemis, prélude à un nouveau programme lunaire (au sens strict du mot).
La fusée européenne Ariane 6 dont le vol de qualification est prévu en fin d’année et sur qui repose une bonne partie de l’Europe spatiale.
Également au programme : l’extension des constellations de satellites en orbite basse destinés à l’observation de la terre et aux télécommunications spécifiques dont la demande ne cesse de grandir et qui a inventé sa propre loi de Moore.
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Cette liste n’est évidemment que partielle. Parmi les sujets non traités ici : les véhicules électriques, les investissements privés dans l’énergie nucléaire, dans le géo-engineering, l’évolution du capital-risque, la souveraineté technologique… Tout cela sera abordé dans episodiqu.es, dans L’Express et dans la Monday Note.
D’ici là, un immense merci aux abonnés et lecteurs d’episodiqu.es dont le nombre augmente constamment. À tous et toutes, je souhaite une excellente année 2022 !
— frederic@episodiqu.es
Bonsoir et merci pour cet article. J'essaie de trouver la source de ce point en vain "une plateforme comme Netflix produira en 2022 plus de contenus originaux que l’ensemble des chaînes de télévision européennes." Auriez-vous la source ?
C’est bien écrit toujours et tes partis pris , ta mauvaise foi légendaire, font plaisir à lire 😂 ! Quant à la presse tu sembles être un des derniers à vraiment t’intéresser à son sort . Bonne année et au plaisir de te lire