L’intégration de l’I.A. dans le smartphone va changer la façon de s’informer
Dès l’année prochaine, l’I.A. va faire une entrée fracassante dans les téléphones. Avec, à terme, un énorme impact sur la consommation de l’info.
• • • La version bullet points :
• ”Apple Intelligence” pour l’iPhone, “Gemini Nano” pour le Pixel Phone de Google arrivent bientôt. Ce sera l’I.A. dans la poche et à portée de voix.
• D’ici 2-3 ans, la notion même d’app deviendra obsolète avec des agents conversationnels qui s’interposeront entre l’utilisateur et une nuées de services.
• Le secteur de l’information, qui s’est complaisamment vendu aux géants de l’I.A. devra s’adapter.
• • • La version Longue
La façon de s’informer radicalement changera avec l’intégration de l’I.A. dans le smartphone. La récente annonce d’Apple avec son “Apple Intelligence” et la miniaturisation des modèles de Google comme “Gemini Nano” modifieront radicalement l’usage du smartphone.
Cela prendra quelques années car il faudra attendre la modernisation du parc de smartphones. Aujourd’hui, on change de téléphone en moyenne tous les 18 à 24 mois (ce qui est absurde compte tenu de la durée de vie du hardware qui est plutôt de l’ordre de six à sept ans — mais c’est un autre sujet). Dans les six mois qui viennent, seuls les modèles haut de gamme seront en mesure de gérer la puissance de calcul nécessaire à l’exploitation de modèles d’I.A. dans les appareils, mais dès 2025, tout va s'accélérer.
Intégrer une I.A. à un téléphone impose de réduire la taille des algorithmes (tout le monde y travaille, y compris en France), et de gérer la multimodalité : accès non seulement via du texte, mais aussi, par la voix ou la caméra du téléphone. Cela nécessite un microprocesseur dédié, embarqué dans le smartphone — c’est le Neural Engine pour l’iPhone ou le Tensor Chip dans le monde Android — donc de résoudre de complexes problèmes de consommation électrique et de dissipation de chaleur.
Ces I.A. “light” permettront au téléphone de devenir l’extension cognitive absolue. Celui-ci l’est d’ailleurs largement aujourd’hui. Il connaît tout de notre champ relationnel grâce à nos communications (métadonnées des conversations téléphoniques, SMS, emails), nos déplacements, notre graph social (merci les réseaux sociaux), nos centres d’intérêt (search) et même des données “inférées” comme notre état de santé ou notre situation financière (search + achats en ligne).
L’intelligence artificielle va permettre une puissante combinaison de tout cela. Celle-ci se fera dans le smartphone lui-même, avec une protection de la vie privée variable selon les fabricants : correcte chez Apple dont c’est l’argument marketing, plus discutable chez Google, nulle pour tout ce qui est lié à Meta ou Amazon.
La première conséquence de cette intégration est un écrasement des applications et leur remplacement par des agents conversationnels à qui l’on donnera des instructions génériques. Exemples : “Trouve-moi un aller retour pour Marseille à telles dates”. Sur la base de mes trajets passés, l’IA se souvient de mes préférences en matière d’horaires, de tarifs, de placement dans le train, etc. Idem pour une réservation dans un restau, l’achat d’une cartouche d’encre pour mon imprimante, la commande d’un taxi, ou la location d’une voiture... Cela évidemment, si j’ai autorisé mon agent intelligent à accéder à mes historiques d’achat et à mes comptes sur SNCF-Connect, Amazon, la G7, Doctolib, Air France ou Hertz. L’I.A. va donc s’interposer entre le consommateur et une nuée de services.
L’information risque de souffrir d’une “ré-intermédiation” identique à mesure que son usage migrera vers le conversationnel. De l’ouverture d’une app d’info, on passera à des interactions du type, “Que va-t-il se passer pour Donald Trump après le verdict de New York?”, l’I.A., powered by OpenAI, génèrera alors une synthèse vocale de bonne facture puisque nourrie par les éditeurs visionnaires qui auront cédé toutes leurs données (archives et flux d’actualité) aux opérateurs en échange d’un jolie rente à court terme et d’une destruction de leur business à moyen terme (lire mes rengaines consternées sur le sujet : Les opérateurs d'I.A. continuent de clouer le cercueil des médias et Presse et IA : le syndrome du scorpion). Dans un prochain post, j’expliquerai pourquoi les articles et contenus éditoriaux sont de l’or en barre pour les opérateurs d’I.A. et comment les accords en cours vont accélerer de façon décisive les performances de l’intelligence artificielle générative, au bénéfice des géants de la tech, évidemment.
L’agent intelligent informationnel proposera toutes sortes de traitements de news en fonction des demandes du client avec des requêtes du type : “—Qui était dans C à Vous ce soir? —Bruno Lemaire. —OK, fais-moi une synthèse de ce qu’il a dit” ; “— Quelles sont les statistiques données par Piketty pour défendre le programme du NFP?” ; “—Peux-tu m’alerter à chaque publication d’un sondage d’intention de votes pour l’élection du le 30 juin ?” Ce sera l’interface idéale pour accéder à du journalisme explicatif : “—Quelle est la corrélation entre le rendement des OAT et les taux sur les prêts immobiliers ? Comment l’un a évolué par rapport à l’autre au cours des dix dernières années ?” ; “—Que disent les dissidents de gauche sur les options du NFP ? (l’IA fera alors la synthèse des tribunes et interviews de Le Drian, Guedj et autres).
Nous souffrons tous de myopie par rapport à ces nouveaux modes de consommation de l’information car les lecteurs d’Episdodiqu.es sont encore fidèles à des “marques” de médias avec lesquels ils entretiennent une relation historique, et qui est leur point d’entrée principal dans l’information. Mais cette notion de marque ne cesse de s’éroder depuis 20 ans, sous l’effet d’une dilution (encouragée par les éditeurs eux-mêmes qui n’ont eu de cesse de se soumettre aux agrégateurs divers) pour le plus grand bénéfice du lecteur. Mon abonnement à Apple News m’a permis de supprimer cinq abonnements que je payais plein pot : le New Yorker, The Atlantic, Wired, la MIT Technology Review, le New York Magazine, et m’offre en plus des lectures occasionnelles comme Vanity Fair ou Fortune, et d’autres titres que je ne lisais même pas. Tout cela pour 10 dollars par mois.
Incidemment, je lis en ce moment le Wall Street Journal pour 2 dollars par mois et à la fin de cette promo en février 2025, je passerai aux best of du WSJ disponibles sur Apple News, ou encore sur des sites gratuits qui reprennent la presse financière sans vergogne. Dans mon champ personnel, seul The Economist m’oblige à payer plein tarif et je viens d’abandonner le FT, trop cher.
Les opérateurs d’IA vont donc s’en donner à coeur joie pour synthétiser et repackager tout cela en temps réel et gratuitement, ou presque. Apple News version ~2026 me proposera à la fois d’excellentes synthèses sur tout ce qui m’intéresse et (parce que j’ai une lecture conservatrice de l’info), un accès direct à mes sources préférées. Et on peut parier, qu’OpenAI et d’autres proposeront des services gratuits, nourris aux meilleures sources financées par une pub optimisée, ciblée, etc.
Le dommage collatéral sera l’ARPU des éditeurs. Le revenu moyen par lecteur devrait rester la boussole, le KPI absolu. Déjà, pour le produit principal, l’ARPU tend à s’éroder sous l’effet de la baisse du prix de la pub, et des promotions excessives sur les abonnements (celle-ci ⬇︎ du San Francisco Chronicle m’ayant été servie ce dimanche).
A de rares exceptions près, les éditeurs souffrent d’une déflation qu’ils se sont eux-mêmes infligés. Le consommateur est ravi. Il y a trois ans, je dépensais facilement (de ma poche) 1500 $/€ par an pour des abonnements ; cette dépense a été divisé par quatre ou cinq, essentiellement pour des newsletters spécialisées.
Pour ces publications, le but est en principe d’avoir des marques médias suffisamment puissantes pour pouvoir développer plusieurs lignes de produits à forte marge qui seront “tirées” par le vaisseau-amiral (hors-séries, evénements, master class ou des podcasts à forte marge — lire “Ces podcasts longs qui cassent la baraque). Plusieurs grands éditeurs (y compris en France) ont à leur actifs de belles diversifications qui font la différence entre un P&L dans le vert ou le rouge. Mais on peut se demander comment ces business annexes se comporteront lorsque les contenus seront agrégés, synthétisés, remis en forme, selon les goûts des lecteurs par des IA super smart qui auront remplacés les applications.
Histoire de ne pas terminer sur une note sinistre, un des effets bénéfiques de cette redéfinition du news sera de forcer les éditeurs à segmenter leur audience et à faire des choix éditoriaux plus marqués, plus conformes à leur identité et à leurs attributs.
On en parle dans un prochain post.
Merci pour votre temps et bonne semaine à tous.
— frederic@episodiqu.es