Facebook : Le Meta plongeon
Facebook est confronté à plusieurs problèmes sérieux. Aucun d’entre eux n’a de solution immédiate.
Le cours de l’action Meta (anciennement Facebook) a perdu 26% en l’espace d' un mois. Du jamais vu :
Au cours de la même période, la capitalisation boursière de Meta a perdu plus de 300 milliards, bien plus que ses concurrents de la tech qui ont aussi souffert de la récente correction :
Certes le contexte n’est pas fameux. Depuis le début de l’année, les valeurs technologiques cotées au Nasdaq ont sévèrement reculé sous la pression conjuguée de la résurgence de l’inflation — donc de la fin de l’argent gratuit, principal carburant de la croissance de la tech américaine —, des tensions internationales et de la crise logistique.
Toujours en lévitation par rapport aux réalités et sûr de lui-même, Mark Zuckerberg avait bien tenté une renaissance de son business autour du concept fumeux (et ancien) du métavers. Mais l’accouchement s’est mal déroulé: le bébé, simplement baptisé Meta, a vu le cordon de son logo s’entortiller autour de son cou. Hypoxie néonatale, l’enfant ne se porte pas bien.
L’annonce des résultats trimestriels mercredi soir après la clôture de Wall Street a sonné l’hallali, même si l’entreprise, c’est le moins qu’on puisse dire, a de beaux restes (voir plus bas).
Voici les chiffres-clés de Meta Platforms Inc. pour le quatrième trimestre 2021 par rapport au quatrième trimestre 2020 :
Chiffre d’affaires : $33,6 mds (+20%) ; soit $115 mds en rythme annuel. Rapporté au CAC 40, cela le met entre Sanofi et Airbus. Pas mal pour une entreprise qui ne fabrique ni avions ni médicaments mais qui se caractérise principalement par une destruction systématique de la société.
Résultat d’exploitation : $12.6mds (+1%)
Marge opérationnelle : 37% (vs 46% deux ans plus tôt)
Profit net : $10.3 mds (+8%)
Nombre d’utilisateurs mensuels (MAUs) : 2.9 milliards. Nombre d’utilisateurs quotidiens (DAUs): 1,929 milliard au T4 2021 vs. 1,930 au 3e trimestre 2021. La baisse est insignifiante, mais suffisamment pour renforcer les doutes sur l’avenir de l'entreprise.
Les cinq Meta migraines
1. Offensive réglementaire.
Elle sera menée par Lina Khan, la présidente de la Commission Fédérale du Commerce qui veut en découdre avec la Big Tech américaine. Cette professeure de droit de 32 ans a été choisie par Joe Biden en grande partie sur la base de ses travaux sur les multiples abus d’Amazon (lire Amazon’s Antitrust Paradox dans le Yale Law Journal).
Khan s’appuiera aussi sur les auditions de Frances Haugen détaillées dans les Facebook Files publiées par le Wall Street Journal.
Les chances seraient plus fortes de parvenir à un contrôle efficace si l’effort était mené conjointement par les Etats-Unis et l’Europe, mais ni la stratégie, ni le niveau des personnes en charge ne sont comparables. Personne ne saisit très bien comment la construction intellectuelle de Thierry Breton, avec le Digital Market Act ou le Digital Service Act, va concrètement impacter Meta.
Dans tous les cas, Meta va subir des assauts réglementaires tous azimuts. Problème : limiter la toxicité de la plateforme revient à s’attaquer au coeur de son business model qui est basé sur une monétisation scientifique de la rage et de la polarisation des masses.
2. Le mauvais départ dans le métavers et l’avantage à Microsoft
Même si personne n’a encore d’idée précise sur comment va se matérialiser le concept de métavers, il attire des capitaux par milliards. Les investissements promis par Meta (10 milliards) ont été surpassés par l’acquisition géante de Microsoft qui a pris le contrôle du constructeur de jeux Blizzard Activision pour 69 milliards de dollars, la plus grosse opération de ce genre dans l’histoire de la tech. Elle a été suivie, sur une échelle plus modeste, par le rachat de Bungie (créateur best seller Halo) par Sony pour 4 milliards. Ajoutez à cela la valorisation astronomique de Roblox (35 milliards), et on a un bon aperçu du momentum du jeux vidéo comme moteur conceptuel et économique du metavers. Cette vague, Meta pour l’instant, la laisse à d’autres, même s’il ne lésine pas sur les moyens : des légions d’ingénieurs sont réassignés sur le métavers et les récalcitrants voient leur avenir compromis.
3. La fin de l’idée d’une croissance forever
Facebook-Meta avait donné de mauvaises habitudes au marché, celles d’une progression que rien ne semblait pouvoir altérer. La remarque de Martin Peers dans The Information, est d’ailleurs comique quand il évoque une croissance tellement ralentie “qu’elle aurait pu être celle d’un vieux média classique…”
Meta a peu de chances de renouer avec les envolées à deux chiffres car l’environnement a changé. Il manque aujourd’hui à Facebook un solide relais de croissance comparable secteur de la santé pour Apple, aux infrastructures de cloud pour Amazon, ou aux futures incursions de Google vers le secteur de l’énergie ou des transports par exemple.
Même l’idée (insensée) de créer une crypto-monnaie universelle contrôlée par Facebook a dû être abandonnée. Quand ça ne veut pas…
4 . TikTok, plus jeune, plus vif, plus clean
L’avantage principal de Meta, le ciblage publicitaire à outrance, est aujourd’hui maîtrisé par une multitude d’acteurs, à commencer par TikTok. Le réseau social chinois est même parvenu à préempter le segment des plus jeunes que Meta pensait pouvoir conquérir sans difficulté grâce à une adaptation d’Instagram (il était même envisagé de développer un Instagram destiné aux enfants, mais face aux critiques, le projet a été abandonné). Résultat : TikTok prend des parts de marchés publicitaires à un Meta qui tend à se replier sur une audience vieillissante.
Comme si cela ne suffisait pas, les restrictions sur le suivi des utilisateurs imposées par Apple, devenu le véritable ennemi de Meta, ont amputé son revenu d’une dizaine de milliards de dollars, soit 8% de son chiffre de son chiffre annuel. Une source rapporte que Facebook se venge en débauchant le plus possibles d’ingénieurs spécialisés en AR/VR.
Cette érosion qui menace le moteur de Meta n’est pas limitée à TikTok. Même Snap, donné pour mort par étouffement façon boa constrictor il y a encore un an, vient d’annoncer son premier trimestre profitable après une hausse de 42% des son revenu publicitaire (une bonne part au détriment de Meta).
5. Meta fait peur
La perte de confiance est telle que chaque initiative de Meta est d’abord considérée à l’aune de ses risques. Les perspectives de monétisation du metavers n’y échappent pas. Meta promet, il est vrai, des trouvailles effrayantes : détection des émotions face à des messages publicitaires ou des contenus variés, suivi des mouvements oculaires également pour tracer au plus près ce qui fait réagir un utilisateur, ou encore intégration poussée des placements de produits dans l’univers virtuel. Problème : Meta est allé tellement loin dans la perversion des esprits de ses utilisateurs que toute innovation présentée est avant tout vue comme un danger.
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Meta a quand même de beaux restes…
En premier lieu, Meta dégage une marge opérationnelle de 37% là où la moyenne du Nasdaq n’est que de 22% — et le CAC 40 de 10%.
Aussi tordu que soit son business publicitaire, il reste donc exceptionnellement rentable.
Deux, l’entreprise est assise sur 58 milliards de dollars de cash. Cela ouvre des perspectives, permet quelques coûteuses erreurs ainsi que des acquisitions judicieuses.
Trois, grâce à sa formidable profitabilité, Meta peut se permettre des investissements annuels de 19 milliards de dollars sur l’ensemble de 2021, soit une hausse de 23% par rapport à 2020. Une bonne partie de son capex en recherche et développement dont l’effort a crû de 35% en rythme annuel. Meta s’est ainsi offert l’ordinateur le plus puissant au monde pour faire tourner son métavers.
Le navire Facebook-Meta s’est donc pris quelques torpilles : celle d’Apple dont l’impact sera long et douloureux ; une concurrence émergente visant des groupes sociaux plus prometteurs que l’antivax du Nebraska ; les effets d’une réputation dégradée par dix ans d’abus en tous genres ; la contre-attaque de l’empire Microsoft dans le métavers ; et la certitude d’une offensive générale sur le front réglementaire. Il tient encore la mer, mais il a dû réduire sa vitesse.
frederic@episodiqu.es