Et si Facebook se retirait du Nasdaq…
Entre les investissements liés au métavers et un marché publicitaire difficile, les fondamentaux de Meta ne sont pas près de s’améliorer. D’où la possibilité d’un scénario extrême.
Remettons en perspective les événements récents liés à Meta Platforms, ex-Facebook :
• Son cours a clôturé vendredi à 219 dollars, soit une baisse de 42% par rapport à son plus haut du mois d'août 2021. Cela lui donne une capitalisation boursière de 597 milliards soit une évaporation de 473 milliards en sept mois.
• Cette décote est dûe à une baisse de 8% des profits au cours du 4ème trimestre 2021 par rapport à un an plus tôt. Deux causes sont avancées par Mark Zuckerberg : les investissements massifs dans le métavers (10 milliards de dollars) et les effets des restrictions d’Apple sur le suivi publicitaire des utilisateurs (coût : 10 milliards supplémentaires).
• Dans un document boursier, Meta a évoqué l’idée de se retirer de l’Europe en raison de l’impossibilité de transférer des données-utilisateurs hors d’Europe (détails à la fin de cet article).
Quelles sont les évolutions possibles sur le court-terme ?
• Le métavers est en gestation. Sa monétisation nécessite une approche entièrement nouvelle de la publicité, qui sera davantage basée sur une sorte de placement de produits, contextuel et hautement personnalisé. Cela peut rapporter gros, mais il va se passer du temps avant que les profits ne soient plus seulement virtuels.
• Les effets des nouvelles normes implicites en matière de vie privée vont aussi s’intensifier avec la persistance de l’offensive d’Apple, de facto, l’ennemi principal de Meta. Les initiatives de Google qui devrait renforcer sa domination sur la pub en ligne avec la disparition des cookies ne vont pas aider. Enfin, Amazon va encore accroître sa part de la publicité numérique grâce au fait qu’il opère dans un environnement clos, où il peut faire ce qu’il veut en matière de ciblage et de barattage des données personnelles ; Amazon est le second moteur de recherche au monde et le premier pour tout ce qui est biens de consommation.
• L’offensive réglementaire va continuer de s'intensifier aux Etats-Unis comme en Europe avec une avalanche d’amendes à la clé. Meta peut y faire face, mais il y a le risque d’une captation des ressources internes pour contrer les actions des régulateurs. C’est un cas de figure que Microsoft a connu dans les années 1990, au pire de l’offensive antitrust du gouvernement américain : l’entreprise était obnubilée par sa défense et par le sentiment que sa survie était en jeu ; certains pensent que cette distraction a empêché Microsoft de se positionner dans la révolution internet.
• Plus grave encore, toute injonction réglementaire d’envergure touchera le coeur du réacteur de Facebook et dans une moindre mesure d'Instagram et de WhatsApp. Nettoyer ces écuries d’Augias affaiblira considérablement les performances économiques de Meta, son rendement étant consubstantiel à ses abus.
D’où la tentation de partir d’une feuille blanche avec le métavers qui aura l’avantage d’être un environnement clos (walled garden) où tout sera permis, sans les intrusions néfastes des politiques d’Apple, du RGPD, de la fin des cookies, etc. Zuckerberg a compris que ce qui fait le succès d’un Amazon est sa capacité à évoluer dans un environnement hyper contrôlé, aux antipodes de l’open internet. Cette propriété exclusive plaît énormément à ce control freak qu’est Zuck.
Il est donc possible que les fondamentaux de Meta se dégradent encore sur plusieurs exercices avec une nouvelle plongée de sa capitalisation boursière.
Surtout si Zuckerberg et Sheryl Sandberg choisissent de suivre les préceptes de Clayton Christensen (1952-2020), professeur d’économie à Harvard, auteur du concept du Dilemme de l’innovateur selon lequel, face à une disruption inévitable, il vaut mieux précéder et accélerer le changement que d’être suiviste (le genre d’idée que les dirigeants français ont toujours eu du mal à assimiler). Or, sur un plan conceptuel au moins, Meta a un train d’avance vers le métavers, avec des ambitions démesurées par rapport à des concurrents comme Microsoft, Sony, ou Roblox positionnés sur des produits existants mais bien plus petits-bras.
Mark Zuckerberg est mieux armé que n’importe quel dirigeant pour gérer une contraction de cette ampleur. Avec 14% des actions, il contrôle 60% des droits de vote, grâce à la magie de la double structure d’actionnariat, une des grandes perversions de la tech US. “Zuck” avec sa vista et son cynisme uniques, est donc inamovible. Il a enrichi tellement de monde que, même si son business est bien putréfié, il jouit encore d’un immense crédit.
Quel “bold move” cela peut-il permettre ?
Certains évoquent une privatisation de Meta, avec un retrait du Nasdaq grâce à un pool d’investisseurs à même de reprendre l’entreprise en payant cash les actions en circulation.
A priori impensable, plusieurs arguments plaident en faveur de ce scénario.
Résumons : la capitalisation actuelle de Meta est de 597 milliards dollars, en baisse de 44% par rapport au pic d’août dernier (1,07 trillion de dollars). Mais la “guidance” (anticipation officielle de l’entreprise) pour les prochains trimestres n’est pas bonne. Une chute supplémentaire n’est donc pas à exclure. Une nouvelle contraction de la valorisation boursière de Meta pourrait éventuellement l’amener dans une zone où un processus dit d’active delisting, selon le terme de la Securities & Exchange Commission, devient envisageable. Un Meta tombant à 300 milliards devient privatisable par un groupe d’investisseurs internationaux fédérés par des banques d’affaires prêtes à vendre leur mère à découvert pour monter l’opération.
Il faut évidemment rappeler qu’aucun buyout de cette ampleur n’a jamais été effectué. Mais il existe un précédent intéressant.
En 2013, Dell Computers, puissant fabricant d’ordinateurs personnels aussi attractifs que de l’électroménager soviétique (j’exagère), a effectué un buyout de 24 milliards de dollars, avec l’aide de Silver Lake Partners, histoire de pouvoir réorganiser son business libéré de la pression de Wall Street. Dell a donc été purement et simplement retiré du Nasdaq et du Hong Kong Stock Exchange. Cinq ans plus tard, Dell a été réintroduit sur le NYSE et affiche aujourd’hui une capitalisation boursière de 45 milliards, une excellente opération pour les investisseurs.
Un montage de cette nature impliquant Meta Platforms Inc. serait dix ou quinze fois plus important, mais au vu de l’explosion des montants de fusions-acquisitions au cours des dernières années, c’est envisageable. Car tout augmente, ou plutôt explose : la valeur des private equity buyouts aux Etats-Unis est passée de 46 milliards de dollars en 2009 à 327 milliards en 2021, soit une multiplication par sept. Et personne dans la technologie n’aurait imaginé que Microsoft paierait 69 millliards de dollars pour l’éditeur de jeu Blizzard Activision
En tout cas, on voit assez bien le pitch de Mark et Sheryl : “Nous allons construire le plus grand univers virtuel de la planète et le monétiser avec la même agressivité que ce que nous avons fait pour Facebook. Mais nous avons besoin de quatre ans de tranquillité pour cela, moyennant quoi, chers investisseurs, vous ferez dix fois la mise”. Comme on dit : ça se regarde.
— frederic@episodiqu.es
[One more thing]
La Meta-menace de quitter l’Europe est-elle crédible ?
L’idée de claquer la porte européenne a donc été évoquée dans les documents transmis à l’autorité boursière américaine. Cela semble improbable au regard du poids de l’Europe dans les revenus de Meta (25%), même si le revenu par utilisateur est bien moindre : là où un Américain a rapporté 214 dollars de chiffre d’affaires en 2021, un Européen n’a généré que 69 dollars, un Asiatique 17 dollars et un loqueteux du Rest of the World 12 dollars.
En revanche, la seule raison qui pourrait justifier un repli sur l’Amérique du Nord et plus tard sur des pays moins tatillons sur un plan réglementaire, est liée aux impératifs technologiques du métavers.
Pour faire court, celui-ci nécessite d’immenses capacités de calculs pour restituer en temps réel les univers virtuels et leurs centaines de millions d’habitants (voir des milliards à terme).
Un réseau social se gère avec des serveurs effectuant chaque minute des centaines de millions de mise à jour de statuts, contenus, échanges de toute sorte ; c’est déjà complexe mais cela se règle avec une architecture distribuée aujourd’hui bien maîtrisée. Elle permet à l’utilisateur de Kuala-Lumpur de mettre à jour son newsfeed tandis que son ami de New York le verra presque instantanément.
Dans le métavers, ce sera infiniment plus compliqué avec la nécessité d’actualiser des environnements et des mouvements dynamiquement et en temps réel avec une définition d’images vidéo quasi-cinématographique. D’où l’annonce de la construction d’un super-calculateur qui sera au coeur du métavers. Or celui-ci n’est (pour l’instant) pas distribuable comme les serveurs qui gèrent le réseau social actuel ; ils sont répartis entre 18 data centers dont 14 sont aux Etats-Unis, les autres étant en Irlande, Danemark, Singapour, et Suède. Il est donc possible que Meta, pour quelques années au moins, ait besoin de centraliser ses capacités de calcul aux Etats-Unis. — FF
Très intéressant, merci 🙂
Top! Merci