#3 - Pourquoi il n’y a pas d’Amazon européen
Personne en Europe ou en France n’aurait eu les nerfs d’encaisser pendant si longtemps les pertes abyssales qui ont permis la croissance d’Amazon.
Chronique #3 parue dans L’Express du 19 Novembre 2021
Chaque poussée de fièvre sur Amazon suscite la même lamentation. Comment se fait-il que l’Europe, avec son vaste marché intérieur et son savoir-faire technologique ne soit jamais parvenue à créer un géant technologique capable de concurrencer Amazon?
La recette d’Amazon repose sur trois axes définis très tôt dans la vie de l’entreprise par son fondateur Jeff Bezos.
Un, la croissance quoi qu’il en coûte. Lors de l’introduction en bourse d’Amazon en mai 1997, Bezos dit à ses actionnaires : la valeur de l’entreprise se jugera sur le long terme par sa croissance, sa capacité à prendre une position dominante sur son marché. Il précise : cela se fera au prix de pertes importantes, et sur une longue période.
Début 2001, lorsque la bulle internet éclate, Amazon accuse un déficit de 1,4 milliard de dollars pour un chiffre d’affaires de 2,7 milliards. Il va falloir attendre 2004—neuf ans d’activité et 3 milliards de dollars de pertes cumulées—pour voir poindre le premier profit, et 2017 pour que les marges décollent enfin. Aucun investisseur, ni en France ni en Europe, n’aurait donné en 1997 sa confiance à un homme de 33 ans ne promettant que du sang et des larmes. (Pour 2020, Amazon table sur un revenu d’au moins 370 milliards de dollars et un profit de 25 milliards).
Second axe stratégique, le client, avec comme impératif, l’élimination de toutes les frictions d’un achat en ligne : prise de commande, sécurisation des paiements, livraisons.
Le troisième pilier est la technologie. Elle a été déployée par Amazon au prix d’investissements considérables : en 2020, l’entreprise va engager 31 milliards de dollars dans son expansion, presque trois fois les investissements de Total en 2019! L’accès à d’immenses sources d’argent pas cher fut un carburant déterminant dans la croissance d’Amazon.
Le 10 novembre, sous les applaudissements, la Commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager a emboîté le pas aux Américains en déclenchant une action antitrust contre Amazon. L’Europe avait le choix. Dans sa trousse à outils, elle aurait pu prendre la truelle pour stimuler le financements de ses entreprises de tech, ou encore chercher à unifier des composantes technologiques. Elle a opté pour le marteau. —
Lire aussi : Amazon, cette obsession française