Le prix à payer pour un Google “clean”
Un nouveau moteur de recherche “pur” et payant va permettre de connaître le prix acceptable pour des services numériques intègres.
Version augmentée de la chronique parue dans L’Express du 21.01.21
Combien les internautes seraient-ils prêts à payer pour avoir un moteur de recherche “pur”, c’est-à-dire dépourvu de publicité, de collecte de données, de traçage individuel, ou de redirection vers des sites affiliés sur lesquels il perçoit une commission —l’anti-Google en somme—?
On le saura bientôt avec un nouveau moteur de recherche baptisé Neeva dont le lancement est prévu ce début d’année. Son créateur n’est autre que l’ancien responsable de toute l’ingénierie publicitaire chez Google, autrement dit, de la supervision d’un chiffre d’affaires de 115 milliards de dollars.
En novembre 2017, Sridhar Ramaswamy, 53 ans, a eu une révélation en constatant que le financement des plus sombres contenus des sites de Google — sur lesquels on trouve encore de la violence, de la haine et de la conspiration — était souvent le fait de grands annonceurs. Le mois suivant, il quittait l’entreprise.
Dans la pratique, Neeva ne sort pas vraiment de l’orbite des GAFAMs. La fonction moteur de recherche sera assurée par Bing qui est le “search” de Microsoft, seul capable de s’approcher des capacités de Google pour indexer des centaines de millards de pages du web. La cartographie sera elle fournie par Apple.
Ramaswamy promet des résultats “intègres”. Par exemple, une requête sur un produit donné ne renverra pas vers un comparateur marchand qui achète sa présence en pôle position de moteur de recherche, mais vers un site de consommation faisant autorité comme The Wirecutter aux Etats-Unis (qui appartient au New York Times), ou l’incorruptible ConsumerReports. Une recherche d’actualité dirigera le lecteur vers des sites certifiés sérieux. Sera-ce suffisant pour faire payer? Possible si l’on juge par la valeur théorique attribuée aux services numériques. Le Bureau américain des études économiques (NBER) a sondé les internautes avec une drôle de méthode en leur demandant combien ils demanderaient pour se passer pendant un an de leurs services numériques favoris. Réponse: 17 500 dollars pour se priver de Google, 8400 dollars pour vivre sans email, 3600 dollars pour ne plus avoir de cartographie, seulement 322 dollars pour les réseaux sociaux et un piteux 168 dollars pour renoncer à sa musique en ligne.
Ces chiffres sont surtout intéressants pour leur proportion: les internautes donnent au “search” une valeur 54 fois supérieure aux réseaux sociaux. Il porte une valeur servicielle plus précieuse que les réseaux sociaux dont on voit, il est vrai, des itérations surgir périodiquement avec un Snapchat ou un TikTok qui tentent de prendre un morceau de la galaxie Facebook, lequel se défend bec et ongles.
A noter que la musique et l’information (laquelle n’est même pas mentionnée dans l’étude du NBER) sont considérées comme des commodities aux fournisseurs interchangeables. C’est logique dans le cas de l’information où les éditeurs ont accepté de diluer leurs marques dans Facebook et Google, et se précipitent comme des naufragés à chaque fois qu’une nouvelle plateforme peut leur apporter une petite audience (sans grande valeur). Ce fut le cas récemment pour TikTok ou encore de Telegram; au passage, ils ont perdu la précieuse relation avec le lecteur qui est maintenant contrôlée par lesdites plateformes —à qui ils réclament un dû, autre sujet.
Sridhar Ramaswamy et Neeva font donc un pari qui sera intéressant à observer: son abonnement à 5 ou 10 dollars par mois sera le test ultime pour évaluer la préférence de l’utilisateur entre un système gratuit mais menaçant pour son intégrité numérique (Google) et un service propre, mais payant. —
➔ Sur les relations entre la presse et la Big Tech, j’ai publié deux longs papiers dans la Monday Note :
• Did Google and Facebook kill the media revenue model?
As hard as it is to reply, this question is at the center of the contentious relationship between “the platforms” and the legacy media bringing up the notion of needed “reparation”.
• Inside Google’s Deal with the French Media
Google will end up giving about €150m to the French press over the next three years. The details show a mixture of a genuine and impactful arrangement and the usual convoluted dealings to make a new set of subsidies looking like a sound business deal.
Merci pour l'analyse. J'ignorais tout ce nouvel acteur.