Démonétiser la rage
Le moyen le plus efficace pour modérer les réseaux sociaux serait de supprimer l'attractivité économique des contenus haineux.
Chronique parue dans L’Express daté du 21.01.21
Twitter et Facebook se sont séparés de Donald Trump comme un gestionnaire de porteuille solderait un actif qui a beaucoup rapporté, mais qui est en bout de course, et surtout devenu toxique.
Le prétexte fut évidemment le début d’insurrection du 6 janvier, encouragée par Trump. Depuis, pas moins de 17 entreprises de technologie américaine ont suivi le mouvement qui touche toutes les émanations du trumpisme déclinant.
Les réseaux sociaux ont gagné beaucoup d’argent avec Donald Trump. Indépendamment même des investissements publicitaires des campagnes électorales, c’est sur le magique barattage de la viralité sociale que les dollars se sont empilés: plus un post, un tweet, une vidéo est partagé, plus il génère du trafic sur les plateformes, lesquelles se rémunèrent au nombre de vues par les utilisateurs. Et plus un contenu est outrancier, plus il “performe”. Dans son implacable machine publicitaire, Facebook a même traduit cela en algorithme avec le tapis rouge déroulé à l’extrême-droite américaine et aux conspirationnistes en tous genres dont les saillies cartonnent sur les réseaux.
Un enquête du site technologique The Markup a même révélé que la campagne de Trump avait payé ses publicités sur Facebook moitié moins cher que l’équipe Biden car les excès du président américain et de ses supporters se propageaient infiniment mieux que la relative modération du challenger démocrate.
A client exceptionnel, conditions avantageuses. Ce fut une constante chez Facebook qui remonte à la campagne de 2016 où le réseau social a apporté au camp Trump une assistance décisive dans l’optimisation de sa campagne numérique.
Cela s’appelle monétiser la rage et c’est la première déviance à laquelle les législateurs américains et européens doivent maintenant s’attaquer : les plateformes ne devraient plus être en mesure de profiter de la haine. Cela suppose une révision de leurs pratiques publicitaires qui aujourd’hui rémunèrent le bruit et la fureur. Mais on touche là à l’essence du modèle de revenu d’un Facebook.
Quant à l’obligation de modérer les contenus, elle est fonction des moyens humains et technologiques. Tous deux supposent des investissements conséquents, qu’il faut encore augmenter et auxquels les plateformes ne consentiront que sous la contrainte réglementaire. —