La souris entre les dents
Difficile de syndiquer des salariés aussi gâtés que ceux de la tech. Même si un frémissement se fait sentir.
Chronique parue dans L’Express du 14.01.21 (version augmentée)
Disons-le, ce n’est pas demain qu’on va voir l’équivalent des Teamsters chez Google ou Facebook. L’annonce, le 4 janvier, de la création d’une pico section syndicale chez Google, l’Alphabet Workers Union, a peu de chances de générer un ralliement social de masse. AWU concerne 700 salariés sur 123 000 et on peut être certain que la direction de la maison-mère de Google va tout faire pour éviter une généralisation de cette idée. Comme chez Facebook, Amazon, Apple, Twitter, Netflix, Salesforce, LinkedIn qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour tenir les syndicats à distance.
La première mesure anti-syndicale porte sur les salaires: les personnes (courageuses) qui s’expriment sur le site de l’AWU, sont majoritairement des ingénieur(e)s. Salaire moyen: 150 000 dollars par an, plus d’innombrables avantages en nature, sans même compter les plans de stock-options. En Europe, les émoluments sont plus modestes: les “Googlers” basés à Dublin, toutes catégories confondues, touchent en moyenne 108 000 euros par an. C’est trois fois le salaire moyen en Irlande.
Cette prodigalité salariale est un puissant anesthésiant de la conscientisation sociale. Et tous les géants de la Big Tech restent vigilants. Dès qu’ils détectent le moindre foyer de syndicalisation potentielle, ils dépêchent des consultants ad hoc, appelés Union busters.
Il y a pourtant des silos entiers de “grain à moudre” comme disent les syndicalistes français. Chez Google, on veut d’abord se battre pour faire émerger un contre-pouvoir interne sur toute une gamme de sujets: diversité, liberté d’expression, meilleurs contrôle des algorithmes qui irriguent toutes les couches techniques de l’entreprise. Les salariés veulent une entreprise plus transparente dans ses modes de gestion. Ils exigent aussi que soit mis un terme aux exceptions opaques comme celle dont a bénéficié le créateur d’Android, Andy Rubin, accusé de harcèlement sexuel. L’ingénieur-star est parti discrètement, mais s’est consolé avec un chèque de 90 millions de dollars payé à raison de 2 millions par mois sur quatre ans (lire l’enquête du New York Times).
Mais le sujet le plus brûlant dans la tech américaine est le système de caste qui prévaut avec les seigneurs à bord des navires-amiral, qui régnent sur une nuée de sous-traitants. Rien que chez Google, ils sont 130 000 contractuels. Pour la seule surveillance des contenus violents ou la détection de la pédo-pornographie, des milliers de modérateurs travaillent sous la férule d’Accenture avec des salaires et conditions de travail médiocres. (Lire l’enquête de Casey Newton sur les modérateurs de Facebook.)
Quant aux emballeurs et manutentionnaires employés dans les centres logistiques d’Amazon, s’ils seraient les plus fondés à se syndicaliser, l’entreprise fait ce qu’il faut pour barrer la route aux “unions”. Dernière initiative en date (22.01), le personnel d’un centre Amazon de Bessemer (Alabama), a été sommé de voter en personne, et non par courrier, pour décider ou non de la syndicalisation de l’entrepôt. —